Plaintes Et Délivrance

Une feuille d'automne entre chien et loup s'égare seule dans un ruisseau caché. Qui s'en soucie ?
Voilà toute ma vie. La question qui me hante : l'ai-je vécue ? Qui suis-je de toute cette vie sans relief particulier ? "Qui suis-je" est-il un questionnement licite à cette heure de ma pensée ?
Quel décor, quels mots puis-je ancrer dans un récit qui ne peut qu'être insipide ?
Je suis l'ombre derrière le mur, un silence éclaté dans les clameurs de la foule ambitieuse.
Tous les hommes disent d'une seule voix "Je suis ! Je suis !"
"Suis-je" est le seul écho en héritage qui se perd au fil des ans sous mes pas solitaires. Je ne suis plus si sûr.
Ai-je été un jour à ce qui ressemble de plus près à ce qu'est un homme ?
Je n'en sais fichtre rien ! RIEN !
Aucun diplôme, aucune formation, aucun métier, aucun ami, aucun amour, aucune famille. Aucune trace.
Voilà aujourd'hui la somme de toute mon histoire insignifiante : une brume oubliée.
"Je" m'exténue, il est lourd en conscience. M'alléger est une nécessité si pressante, presque oppressante.
Me rappeler de l'oubli m'insupporte. Que je n'oublie l'oubli !
Ah ! Mémoires ! Vous êtes mon tonneau vide des Danaïdes et pourtant si pesantes !
Est-ce qu'après ce jour, après la nuit, je serai sur l'autre versant de ma vie inconsistante ? Les joies, les fêtes, les embrassades m'attendent-elles ? La prochaine foule clamera-t-elle "Je suis... avec toi ? ", "Je t'aime" ?
Quelles promesses ? Quelles promesses ? Ô absences ! Dites-moi les contes des jours qui suivent, bercez mes manques de fictions, enivrez mes attentes de romances romancées, comblez mon cœur vide de cœurs par des chants de sirènes.
Néant ! Néant...
...
Mais puisque tout ce passé est presque nul, alors ce poids ne peut qu'être illusoire comme cette brume dissoute. Et comme demain n'est qu'imagination il ne peut qu'être un chemin vierge. Je peux alors concevoir aujourd'hui ma liberté. Il n'y a aucune entrave, aucun chagrin à faire rouler. Il n'y a rien à attendre que ce jour. Ce jour que je vois, ce jour que j'embrasse.
Une aube à la fois.
Hier est un blâme insignifiant et demain un inconnu qui ment. Le présent chaque jour me murmure fortement de ne pas l'ignorer. Il me supplie généreusement d'apprendre à le connaître et de ne plus rien savoir ni d'hier ni du lendemain.
Le voyage vers Soi est fait de halte à chaque pas m'a dit le baiser de l'instant.
Je ne savais pas que pour marcher il fallait être bien assis.
Sis ici et maintenant, maintenu. L'assiette amoureuse, le sourire tout le long.
Voilà ma vie : présentement !
Ah ! Dieu ! Comme j'ai couru ! Oh ! Comme j'ai rué sur les rues des roués ! Mes ennemis ? Mes pensées rusées sans fondement !
Rien ne promet rien. Sauf ce jour qui promet ce jour. Rien d'autre.
Désormais je me permets d'être oublié, je me permets de disparaître. Je ne suis déjà plus, comme un soupir déjà soupiré avant la conscience de ce soupir même !
Et est permis à ce "Je" de s'effacer dans le silence et l'ignoré.
Amoureusement. Sans crainte, sans attente, sans pourquoi.
Juste "Quoi ?" et puis rien. Qui suis-je ?
Juste coi.
Ici et maintenant.
Ô mon âme aime et tais-toi.

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